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  1. Le wargame entre reconstitution et contrefactuels, entre hors-temps et subversion du temps historique réel Une histoire en plomb : le wargame à la Belle Epoque Comment les auteurs envisagent-ils la présence du contrefactuel dans les jeux vidéo ? C’est l’objet de la première partie d’un autre chapitre du livre « La console et le tableau. Rejouer l’histoire, un jeu sérieux ? » (pp. 285-310) Les incursions des historiens français dans le jeu vidéo restent encore timides. Elles se réduisent le plus souvent à une histoire du jeu vidéo lui-même sans guère de référence à une histoire culturelle du jeu plus large, et à l'examen des représentations de l'histoire contenues dans ces jeux. Elles font très rarement appel à l'histoire des idées et à l'épistémologie et à la philosophie de l'histoire. Le livre de Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou participe à une décrispation importante sur la question. Il y a cependant une réelle difficulté pour les auteurs à appréhender les enjeux et les ramifications de l’industrie du jeu vidéo. « Un univers foisonnant » (page 290) soulignent-ils. Il est logique qu’il n’entre pas dans l’économie du livre, dont ce n'est pas le propos central, d’en donner une analyse détaillée, d’autant qu’elle reste largement à faire et qu’il est encore nécessaire de trouver une méthodologie de recherche propre à ces productions entièrement différentes d’autres éléments classiques de la culture populaire, le cinéma, la bande dessinée où les historiens ont des repères plus précis. Les deux véritables angles d’approche pour comprendre ce que ces productions peuvent apprendre aux historiens sont cependant bien identifiés. Le premier consiste à se placer pour une fois « davantage du côté du lecteur, de l’auditeur ou de l’amateur d’histoire » (page 286), le second à constater que « le contrefactuel ou l’uchronie (y) sont largement mobilisés » (page 290). Une autre difficulté est d’ordre typologique. Il y a des catégories de jeux fondées sur des mécaniques de jeu, ce que l’on appelle le gameplay, plus que sur leur contenu désigné comme « historique » ou non, intégrant des arguments contrefactuels ou non. Le gameplay ne dépend donc pas du schéma narratif mais des formes d''interaction entre le programme et le joueur, faisant partie de ce que Ian Bogost a appelé une rhétorique procédurale. Ces catégories ne sont pas intangibles, elles sont en constante recomposition par des phénomènes de formes d'hybridation de gameplay dont les gamers sont d'ailleurs friands. Elles sont en partie fabriquées par le marketing de l’industrie du jeu vidéo lui-même ou bien par les médias vidéoludiques spécialisés, mais elles sont réelles et profondes en appartenant simultanément à une histoire et à une généalogie des jeux vidéo qu'il convient de maîtriser d'une part ; à une identification qui reste très importante pour les joueurs d'autre part. Elles demandent donc à être définies avec souplesse mais précision. Il faut aussi tenir compte que cette industrie ne se cantonne pas aux productions dites AAA dont le budget est équivalent désormais à un film à grand spectacle. Les jeux vidéo qui actuellement questionnent le mieux la question du contrefactuel sont bien souvent les créations de petits ou moyens studios indépendants où la prouesse technologique (univers en 3D de plus en plus impressionnants, gigantisme de l’espace virtuel parcouru par le joueur, recours constant à la vue subjective) n’est pas l’objectif, mais bien plutôt la recherche ou la déclinaison d’un concept historique voire philosophique et réflexif. On commence même aussi à voir des chercheurs en sciences humaines et sociales s'emparer de ces supports pour présenter leurs travaux d'une manière hétérodoxe. Enfin, nous y reviendrons dans la suite de notre feuilleton, les productions contrefactuelles les plus étonnantes dans le domaine des jeux vidéo sont en fait créées par les gamers eux-mêmes à travers un phénomène où la modification de l’histoire propre à la démarche contrefactuelle rejoint celle du jeu lui-même : le phénomène du modding. C’est-à-dire que ce sont les joueurs et non les concepteurs qui sont dans ce cas les producteurs réels du contrefactuel à partir du code du jeu (pouvant lui-même être contrefactuel !) qu’ils modifient (en toute légalité d’ailleurs, puisque l’industrie du jeu vidéo s'épanouit et se développe, en partie grâce à la contribution gratuite des moddeurs et les forums de fans qui permettent de fidéliser sur le long terme la pérennité et le succès d’un jeu vidéo). Cette conjonction entre la modification de l’histoire qu’autorise la démarche contrefactuelle et la modification du jeu lui-même par des joueurs exigeants et créatifs est sans doute une piste essentielle à creuser pour comprendre d'une part le discours ambigu des producteurs de ces jeux qui oscille entre l'argument de l'accuracy (la pertinence historique qui va de la catégorie de la plausibilité à celui de l'authenticité) et celui du fun (le plaisir de jouer), et le discours plus clair de moddeurs ou de gamers avertis de ces jeux qui ont des exigences très particulières fondées sur un triple registre complexe d'historicité qu'il serait vain de hiérarchiser, chose dont se garde bien les auteurs d'ailleurs, avec raison, puisqu'il est hors-de question de juger de ces productions en adoptant une position d'expert de la chose historique: celui de la vérité (le discours de l'historien dans son pacte de vérité avec les éléments du passé), celui de la véracité (le discours du folkloriste amateur soucieux de reconstitution et d'authenticité, à l'image du développement des spectacles historiques vivants), celui de la véridicité (où l'on pourrait placer le contrefactuel) Ainsi, dans l’ordre de la typologie, les auteurs font entrer les jeux dits FPS/TPS (qui sont finalement des jeux de shooting prenant ou non comme cadre un contexte historique, uchronique ou entièrement fictionnel/fantaisiste dans toutes ces déclinaisons, steampunk, post-apocalyptique ou aventure) dans la catégorie des wargames (page 290). Or les jeux FPS/TPS n'ont pas du tout la même histoire que les wargames. C’est parce que cette notion de mécanique de jeu n’est pas forcément évidente pour l'observateur extérieur s'il se cantonne à l’analyse purement cinématique ou iconique de ces jeux et en négligeant à la fois l'histoire des jeux et les composantes de gameplay que cette confusion est faite. Essayons de montrer la richesse de la longue histoire culturelle des wargames pour comprendre ces enjeux de clarification essentiels à décrypter si l'on veut faire le lien entre le raisonnement contrefactuel et les jeux.. On peut commencer par poser un recueil de trois textes, a priori très éloigné de notre propos, mais dont l'intérêt et la portée s'éclaireront par la suite. Ces textes littéraires, nous amènent un siècle en arrière. Ils préfigurent bien des aspects de la spécificité des contrefactuels et de l'expérience ludique dans les jeux vidéo. Ils définissent à la fois une forme de continuité avec des formes de jeux où l'attitude ludique est identique, et permettent de situer en quoi les jeux vidéo consacrent une rupture technologique majeure par les modalités d'interaction homme-machine que permet l'intelligence artificielle, par le jeu en temps réel et en dialogue avec une machine, dans des environnement virtuels. D'abord, l'extrait d'un ouvrage délicieux, atypique et trop peu connu d'H.G. Wells qui n'a curieusement jamais bénéficié d'une traduction française, Little Wars , raison pour laquelle nous proposons la nôtre: « Petites Guerres » est le jeu des rois (NdT : cela ressemble à une allusion implicite au roi sans divertissement des Pensées de Blaise Pascal) à destination des joueurs d'une position sociale inférieure. Il peut être joué par les garçons de tous âges de 12 à 150 ans – et même plus si leurs articulations restent suffisamment souples – par les filles de la meilleure composition et par quelques rares femmes douées. Ce livre est une Histoire complète des Petites Guerres, de leurs origines dûment rapportées et authentifiées jusqu'à aujourd'hui, un compte-rendu de la manière de fabriquer une petite guerre, et un recueil de recommandations de la plus haute valeur pour les stratèges en chambre. (…) L'origine du jeu de la Petite Guerre, comme chacun sait, n'a été rendu possible qu'avec l'invention du canon à culasse à ressort. Ce cadeau inestimable offert à l'enfance est apparu à un moment indéterminé vers la fin du siècle dernier, un canon capable de toucher et abattre un petit soldat neuf fois sur dix à une distance de huit mètres. Il a complètement surclassé tous les canons à ressort en spirales ou autres qui existaient jusqu'ici dans les salles de jeux des enfants où se mène la guerre. Ces nouveaux canons sont de différentes tailles et modèles, mais celui qui est utilisé dans notre jeu est connu en Angleterre sous le nom de canon 4.7. Il lance un projectile cylindrique d'environ 2 cm et dispose d'une vis d'ajustement pour l'élévation et l'abaissement. C'est une arme tout à fait élégante. Ce fut avec l'un de ces canons qu'a commencé notre jeu de la guerre. C'était à Sandgate, en Angleterre. L'auteur du présent livre avait déjeuné avec un ami – jetons un voile sur son identité en l'appelant par ses initiales J.K.J – (NdT : même si le dernier J ne correspond pas, pourrait-il s'agir de l'écrivain Joseph Conrad dont le nom polonais est Konrad, qui est à la fois un voisin de Wells et un ami très proche ? Par exemple, L'Agent secret de Conrad, publié en 1907, est dédié à Wells) dans une pièce jonchée de tout le bazar abandonné par les petits plaisirs d'un enfant. Sur une table à côté de la nôtre, étaient disposés quatre ou cinq soldats ainsi que l'un de ces canons. Monsieur J.K.J. ayant satisfait ses besoins les plus urgents et en attente du café, tira une chaise de cette petite table, s'assit, examina le canon discrètement, le chargea prudemment, visa et toucha son homme. ll tira aussitôt une grande fierté de son action, proposa quelques défis qui furent relevés avec enthousiasme. Le tir qu'il réalisa ce jour-là résonne encore à travers le monde. Un événement – faisons le parallèle avec la Canonnade de Valmy et appelons-le la Canonnade de Sandgate – venait d'avoir lieu ; un tir entre des rangées de soldats opposées, un tir pas si différent dans l'esprit – mais ô combien différent dans ses résultats ! – de la petite guerre préhistorique avec catapulte à élastique. « Mais supposez », dirent ses adversaires, « supposez de quelle manière nous pourrions déplacer les hommes ! » en ouvrant ainsi un nouveau mode de belligérance. Le sujet n'alla pas plus avant avec M. J.K.J. La petite graine plantée là prenant de la force, elle commença à germer avec un autre ami, M. W (NdT : est-ce que Wells auteur se met lui-même en scène dans l'ouvrage qu'il écrit ?) . De M. W. est venue se greffer l'idée suivante : « je crois que si l'on mettait quelques obstacles sur le sol, des volumes de la British Encyclopedia et ainsi de suite, pour faire un Pays, et si l'on bougeait les soldats et les canons çà et là, on pourrait avoir un assez bon jeu, une espèce de kriegspiel (NdT en allemand dans le texte) »... Les premières tentatives pour réaliser ce rêve furent interrompues par un grand bruissement de frous-frous et de bavardages de dames en visite. Elles regardèrent les objets éparpillés sur le sol avec le vide mépris de leur sexe pour tout ce qui relève de l'imagination. H.G. Wells, Petites Guerres. Un jeu pour les garçons de 12 à 150 ans et pour cette catégorie de filles plus intelligentes qui aiment les jeux de garçons et les livres. 1913. Ensuite, un extrait de l'autobiographie de l'écrivain Graham Greene qui, en racontant ses souvenirs d'enfance, démontre l'impact immédiat de l'ouvrage de Wells précédemment cité : Mes jouets préférés, en ce temps-là, étaient un train mécanique et mes soldats de plomb. Quand les soldats avaient perdu trop de jambes pour tenir encore debout , nous les faisions fondre dans une poêle à frire, sur le feu de la nursery, précipitant ensuite le plomb fondu dans l'eau froide, comme font les Suédois la nuit du Nouvel An en quête de présages. (…) Quand je fus un peu plus avancé en âge (vers mes douze ans), je pris l'habitude de jouer avec Hugh (qui en avait six) à un jeu guerrier fort compliqué et fondé sur le livre de H.G. Wells : « Petites guerres ». Pendant les vacances, nous avions le droit d'utiliser les grandes tables du réfectoire. Poussant deux tables l'une contre l'autre, nous organisions tout un paysage : routes tracées à la craie, chaumières, forêts de brindilles et rivières qu'il fallait traverser. La même partie pouvait durer une semaine, avec peut-être deux cents soldats dans chaque camp, des raids éclairs de cavalerie et de lentes progressions de l'infanterie, mesurées avec des bouts de ficelle, des mêlées aboutissant à la capture de prisonniers, et des bombardements à l'aide de nos pièces de marine de 9 mm. C'était en 1916, mais la guerre avait encore ses charmes aux yeux des enfants. Graham Greene, Une sorte de vie, 1971 Enfin, la translation d'un jeu de guerre, imaginé et commencé dans un jardin pendant les vacances, à l'intérieur de la maison quand il se met à pleuvoir, dans une nouvelle de Valéry Larbaud : Tiens, une idée. Une idée qui naît et qui surgit devant lui comme Pallas en armes. Les soldats. Les six boîtes achetées, au dernier voyage de Paris, dans la caverne de l'enchanteur en béret bleu, rue de Dunkerque. Marcel va les chercher et les vide sur la grande table de la chambre. Ils sont tout plats, dit Françoise déçue. Oui, ils sont tout plats. Mais on s'habitue vite à leurs platitude. Leurs couleurs sont jolies, leurs uniformes exacts : un chevalier blessé tombe, les genoux ployés ; Napoléon, la main dans son gilet, surveille le champ de bataille. Ce sont des batailles de la guerre de Cents Ans et de l'Empire. La notion de temps est abolie par décret, et on décide d'opposer les Français d'Austerlitz aux Anglais d'Azincourt » Valéry Larbaud, La grande époque, 1913 Les wargames au sens exact du terme ont une origine largement antérieure aux jeux vidéo qui est bien documentée et sur laquelle il n'est pas nécessaire de s'appesantir. On peut simplement voir en eux les premiers jeux de simulation historique. Ils naissent dans l’état prussien au début du XIXème siècle, se développent dans les écoles militaires et les états-majors de tous les pays au XIXème siècle au fur et à mesure de la montée en puissance de ce qui deviendra l'Empire allemand. Ce qui est beaucoup moins analysé, c'est comment cette origine finalement peu ludique, dans un contexte de jeu sérieux, didactique, utilitaire et prospectif proprement militaire en est venu à déborder sur la civilisation des loisirs auprès du public civil. Ce débordement foisonnant se réalise en deux temps principaux. Le premier moment est celui de la phase de l'industrialisation massive de biens de consommation courants comme les jouets à partir des années 1870, des débuts de la démocratisation de la civilisation des loisirs, et de la Belle Epoque d'avant-guerre. C'est pendant cette période que commence à s'épanouir le plus largement l'industrie du soldat de plomb moderne en ronde-bosse qui ouvre à des imaginaires de l'histoire encore peu étudiés dans l'historiographie. En France par exemple, l'entreprise CBG Mignot est prolifique surtout quand Henri Mignot s'associe en 1903 avec Maurice Gerbeau, l'un des descendants des fondateurs de l'entreprise créée en 1828 qui n'était alors qu'une bimbeloterie. Mais c'est en Allemagne, à Dresde, que l'on trouve le plus gros fabricant de soldats de plomb qui exporte partout dans le monde et supplante même le foyer traditionnel de la production allemande antérieure qui se situait à Nuremberg : l'entreprise Georg Heyde démarre en 1872. Les Anglais ne sont pas en reste avec William Britains qui invente en 1893 le procédé de moulage en creux des figurines, faisant baisser d'autant les coûts de production, suivi par l'un de ses employés F.H. Wood qui fonde en 1898 Johillco (John Hill & Company) à destination d'un public plus populaire de la working class avec des productions de moindre qualité. Cette industrialisation des jouets en tant qu'objets de consommation marque une rupture forte avec la production artisanale ou proto-industrielle des soldats plats en étain des bimbelotiers des années 1830-1870 période dont le conte d'Andersen rendait compte en 1838. C'est dans ce contexte que nous retrouvons H.G. Wells puisque ce pacifiste et socialiste convaincu publie Littles Wars (1913) où il décrit comment lui est venue l'idée d'imaginer un jeu (dont il fixe les règles dans le livre) qui subvertit férocement la tradition du wargame initial des états-majors autant qu'il renvoie le dispositif ludique à sa juste vocation : ne pas avoir une finalité autre que celle d'un détournement du réel, inventé et décidé par le joueur lui-même, qui n'en reste pas moins un dispositif profond, à la fois imaginaire et réflexif, à l'intérieur du célèbre cercle magique que Huizinga sera le premier à définir plus tard. Moins connue ou moins évoquée sous cet angle, la nouvelle de Valéry Larbaud La grande époque publiée d'abord dans la NRF en 1913, soit la même année que les Petites guerres de Wells, fait elle-aussi apparaître les soldats de plomb dans un contexte identique, d'usage des soldats de plomb à la Belle Epoque. La nouvelle dispose d'une puissance narrative extrêmement subtile où le jeu comme tentative d'abolition partielle des classes sociales apparaît dans toute sa cruauté : les enfants héros de la nouvelle sont Marcel, l'enfant du patron d'usine, Arthur et Françoise, le fils et la fille du régisseur, les filles non prénommées de l' ouvrier Matou – Marcel les appellent « les reines sauvages ») – . Elles refusent d'entrer dans le jeu du fils du patron et des enfants du régisseur en raison de « la loi d'airain » (c'est Valery Larbaud qui le souligne en italique dans le texte) qui sépare les classes sociales. La lutte des classes des adultes imposée par le père prolétaire des fillettes se répercute et se prolonge dans les jeux de l'enfance au grand désespoir de Marcel. La grande époque se présente comme un véritable Action After Report de la Belle Epoque et surtout, dans ce qui nous occupe ici, de réenchantement de l'histoire et de la géographie par le jeu, une reconfiguration du temps et de l'espace par la création d'un espace-temps propre à ce que nous connaissons bien depuis les travaux d'Henriot, l'attitude ludique, au delà de l'expérience ludique elle-même. Dans la nouvelle de Valéry Larbaud, le vendeur de petits soldats de plomb est d'ailleurs désigné par plusieurs fois sous le nom de « l'enchanteur ». L'écrivain conservera ce goût pour les soldats de plomb toute sa vie d'adulte en devenant collectionneur de figurines. Des mentions dans son journal intime en témoignent. Le rapport de l'écriture de Larbaud, de Wells et d'autres encore avec l'enfance, le jeu et les soldats de plomb feront l'objet d'une étude à part sur ce blog. Chez Anatole France en 1899, par exemple, le soldat de plomb devient un objet transitionnel qui permet de remonter le temps et se présente comme le témoin d'une scène de l'époque de la Terreur révolutionnaire quand il était le jouet d'un enfant, scène dont il rend compte/conte au narrateur du présent à qui il parle pendant la nuit. Et nos soldats de plomb n’envahissent pas que la littérature, ils sont aussi présents par exemple dans les premiers films d'animation d'Emile Cohl à partir de 1908 avec l'étonnante aventure du Petit soldat qui devient Dieu (1909). Ce film d'animation reprend un topos de la littérature pour enfants du XIXème siècle dont l'archétype est le conte d'Andersen qui a donné lieu à d'innombrables variantes. Elles prennent toujours le point de départ du conte d'Andersen à savoir le thème de l'abandon (le soldat qui est oublié et ne rejoint pas ses congénères dans la boîte) et du voyage aventureux, deux vecteurs puissants de l'imaginaire. On trouve donc dans l’œuvre de Cohl le même procédé sauf que la dérive - au sens propre du terme - du soldat, au lieu de le ramener tragiquement à son lieu de départ comme dans le conte d'Andersen pour finir fondu dans un poêle, est adapté à l'imaginaire de la conquête coloniale de la Belle Epoque. Notre petit soldat de plomb devient une divinité dans une peuplade africaine, la modernité occidentale imposée par la force militaire venant en quelque sorte supplanter les superstitions anciennes des peuples sauvages à civiliser. Le soldat de plomb apparaît aussi dans les œuvres musicales des compositeurs, ce qui semble bien témoigner d'une attention soutenue aux imaginaires de l'enfance dont Lewis Carroll aura été un précurseur génial en 1865, qui va bien au-delà de l'objet transitionnel soldat de plomb lui-même. Ainsi en 1887, Gabriel Pierné réunit une série de pièces musicales sous le titre Album pour mes petits amis (opus 14), dont une Marche des petits soldats de plomb fait partie (op. 14 n° 6). Il n'est pas indifférent de constater que Gabriel Pierné est un Lorrain, dont la terre natale a été annexée par l'Allemagne après la guerre de 1870. On tombe là dans un autre aspect du succès des soldats de plomb Belle Epoque : ont-ils pu servir de vecteur du militarisme et d'exaltation du colonialisme auprès de l'enfance dans l'ambiance conquérante et revancharde des années 1870-1914 ? Il convient d'être très prudent à ce sujet. La lecture des archives et des publications de l'époque, sous réserve d'investigations plus complètes, semble montrer que cette industrie du jouet fait avant tout l'objet de préoccupations économiques, étant donné l'écrasante domination allemande en ce domaine qui inquiète les milieux d'affaires français ou anglais de ce secteur en pleine croissance. Il n'est pas moins indifférent évidemment non plus de remarquer que les deux productions littéraires de Wells et de Larbaud précèdent de quelques mois à peine l'entrée du monde dans la guerre réelle avec le premier conflit mondial. Un peu comme si, devant la montée des périls, les deux écrivains plaçaient la guerre dans le jeu, non pas pour y trouver refuge, mais bien pour la disposer dans un hors-temps critique et subversif que permet le jeu, où la guerre effective, militaire ou sociale, est moquée et rejetée à la fois. Cette position flagrante est particulièrement affirmée dans le cas des Petites Guerres de Wells. Une guerre pour de faux bien plus raisonnable que la guerre pour de vrai, en somme. Dans son dernier chapitre « Une fin en forme de défi » Wells énonce clairement ses intentions pacifistes, toujours sur ce mode de l'amusement ironique, mais avec un sens de l'anticipation qui fait véritablement de cet écrivain un génie multiforme : (…) C'est désormais à vous, cher lecteur, de trouver un plancher, un ami, quelques soldats et quelques canons, et de montrer votre reconnaissance, en vous mettant à genoux en signe de dévotion, pour ce noble et beau cadeau d'un jeu sans limite que je viens de vous offrir. Et si je pouvais juste l'espace d'un instant faire sonner le clairon par une proclamation ! Combien meilleure est cette aimable guerre en miniature par rapport à la Chose Réelle ! Voici un remède homéopathique pour les stratèges en herbe qui satisfera leur imagination. Voici la préparation, le frisson, la tension excitante d'une accumulation de victoires ou de désastres. Ici, pas de corps écrasés et sanguinolents, pas de magnifiques bâtiments éventrés ni de campagnes dévastées, pas de cruautés gratuites (…) Ce monde est fait pour une vie généreuse ; nous voulons la sécurité et la liberté ; chacun de nous dans chacun de nos pays, à part quelques esprits obtus, quelques fâcheux agités ; nous voulons voir le monde arriver à maturité plutôt que de singer les petits soldats de plomb que nos enfants achètent dans des boîtes. Nous voulons de belles choses construite pour l'espèce humaine – des cités merveilleuses, des voies ouvertes, plus de savoir et d'énergie, et plus et plus et plus encore. C'est pourquoi j'offre mon jeu, dans une finalité autant particulière que générale. Et installons ce roi qui se pavane et ce stupide marchand de peur et ces « patriotes » excités et ces aventuriers et tous les docteurs de la Welt Politik à l'intérieur d'une vaste Temple de la Guerre, avec des tapis de liège partout, et plein de petits arbres, de petites maisons à démolir, et des villes et des forteresses, et des troupes inépuisables – des tonnes de troupes de plomb dont leurs caves seront remplies – et laissons-les y mener leur propre vie loin de nous. Mon jeu est aussi bon que le leur, et bien plus sain en raison de sa taille. Voici la Guerre ramenée à ses justes proportions. (…) En ce qui me concerne, je suis préparé. Je dispose d'environ 500 hommes et de plus d'une batterie de canons. Je frise ma moustache et lance mon défi vers l'est, à partir de ma maison dans l'Essex en traversant les mers étroites. Pas seulement vers l'est. Je voudrais conclure ce petit discours avec une autre pensée qui sera déconcertante et agaçante pour tous les admirateurs et praticiens de la Grande Guerre. Je n'ai encore jamais rencontré en petite bataille un quelconque militaire, capitaine, colonel, général ou commandant en chef, qui n'ait pas été mis en difficulté et en grand embarras devant les règles les plus élémentaires de la Bataille. Il vous suffit de jouer à Petites Guerres avec eux trois ou quatre fois pour mesurer quelle erreur serait de leur confier une Grande Guerre. La Grande Guerre est, à présent, j'en suis convaincu, non seulement le jeu le plus coûteux de la Terre, mais c'est un jeu qui est disproportionné. Pas seulement en raison des masses d'hommes et de matériels et de souffrances et de perturbations trop monstrueusement élevées qu'il engagerait. Mais aussi parce que les têtes disponibles qui le mèneraient sont trop petites. Ce jeu est donc la réalisation la plus pacifique que l'on puisse concevoir, et les Petites Guerres vous apporteront ce qu'aucune Grande Guerre ne pourra faire. Mais très vite, au cours de la Grande Guerre réelle qui éclate un an plus tard, nos petits soldats de plomb seront ensuite abondamment mobilisés pendant la Première Guerre Mondiale comme élément de participation des efforts enfantins de l'arrière pour soutenir leurs pères au front. A cet égard, on n'est pas forcément obligés de suivre tout ce que l'historiographie récente, autour d'Annette Becker et de Stéphane Audoin-Rouzeau, présente à propos de l'enfance dans les cultures de guerre. Signalons cependant parmi tant de traces un film patriotique de Pierre Bressol. Les petits soldats de plomb, réalisé en 1916 et restauré par Pathé en 2014 dans le cadre de la Mission du centenaire. Les Petites Guerres de Wells se présentent donc bien comme un anti-Kriespiel, qui utilise les armes de la stratégie militaire du Kriespiel pour en détourner complètement le sens. A notre connaissance, il n'y a pas dans le domaine de la littérature d'autre équivalent à part un autre ouvrage de l'immense écrivain chilien Roberto Bolaňo, Le Troisième Reich, publié de manière posthume en 2010 quelques années après sa mort et qui met en scène un wargamer pris au piège du jeu dont il est le meilleur spécialiste mondial et dont la raison vacille peu à peu en étant confronté à un adversaire énigmatique et totalement débutant. Nous en parlerons dans le prochain épisode qui concerne une autre période du wargame.
  2. Des uchronies dans l’air du temps ? Un chronaute sait tout et rien à la fois. J’étais partout et nulle part. Je suis mort d’innombrables fois sans perdre la vie. Toutes les probabilités et les possibilités se réalisent en même temps. Quantum Break (1) En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre dont on se détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps. René Char, Recherche de la base et du Sommet. (2) Dans le chapitre consacré aux uchronies littéraires des temps contemporains du XIXème siècle à aujourd’hui (3), le livre dresse quelques constats sous la forme d’une proposition de périodisation. Premier constat : au cours du XXème siècle les uchronies se fictionnalisent et entrent progressivement dans la sous-culture au fur et à mesure que la science historique s’objective, éloignant encore un peu plus des productions d’un XIXème siècle où les fictions se présentaient volontiers comme des tableaux historiques ou de mœurs à la Balzac ou à la Zola, où les œuvres historiques avec la figure cardinale de Michelet n’hésitaient pas à insuffler un souffle romanesque et lyrique dans leur écriture et où fleurit en plein romantisme le roman historique. Deuxième constat : après 1945, on assiste à une massification de la production des uchronies et à leur ancrage dans une forme de contre-culture critique, politique, subversive parfois, éléments que le chapitre ne met sans doute pas assez en évidence, peut-être parce qu’il a semblé hors du propos alors que l’uchronie porte fortement cette potentialité critique. Les uchronies en raison de cette massification deviennent un genre à part entière même si elles restent souvent catégorisées en sous-genre de la science-fiction Le livre met en exergue avec justesse l’un des chefs d’œuvre de cette littérature : Le maître du haut château de Philip K. Dick (4). Troisième constat : à partir de 1980, se produit une véritable extension du domaine de l’uchronie qui passe par une grande diversification des productions mais aussi fait apparaître la reprise en compte de l’uchronie par la « grande » littérature. Là aussi les auteurs cernent bien l’importance symptomatique du roman de Philip Roth Le complot contre l’Amérique (5) dont l’argument concerne d’ailleurs la même période que le roman de Dick mentionné plus haut. Le plus important est qu’ils relèvent que ce succès éditorial des uchronies littéraires se produit en « conjonction de (…) la pratique historienne du contrefactuel » (page 73). Mais le vrai problème de cette concomitance est qu’elle reste largement irrésolue par les auteurs, sous-interprétée, peu questionnée. On peut se demander jusqu’à quel point les auteurs ne se sentent pas trop éloignés de leur domaine savant traditionnel d’investigation quand ils envisagent les usages publics de l’histoire par la face nord, celle de l’uchronie, cette « voie singulière » dont « les parages sont risqués » (page 74). A cet égard, on remarque que c’est le chapitre le plus descriptif, celui qui bénéficie de moins de références dans l’appareil critique, moitié moins que les autres chapitres. Cette sous-interprétation se résume parfois à des considérations sur le mode de l’air du temps des « vastes mutations contemporaines » à tel point qu’elles sont condensées entre parenthèses dans le livre : « (modification du rapport à la science, fin des grandes idéologies, perception d’un monde plus incertain, difficulté à se projeter dans l’avenir, mutations des formes de l’espoir, jeux inquiets ou fascinés entre réalité et virtuel) » (page 73). Or notre période du temps présent n’a pas, loin de là, l’apanage des grands traumatismes collectifs comme le choc du 11 septembre (page 72). Cette réflexion sur la prolifération des uchronies contemporaines ne peut faire l’impasse sur les conditions sociales, culturelles et économiques de leur production et de leur réception. Plutôt que de chercher dans le succès de l’uchronie le repli et le refuge inquiet face à un monde rempli de menaces et d’incertitudes, elle est peut-être la résultante du basculement complet du régime de la diffusion des productions culturelles avec l’avènement de l’ère d’une médiatisation globale et disponible à profusion où la littérature sous la forme du livre n’est d’ailleurs qu’une partie de plus en plus marginale sous sa forme papier. C’est peut-être en restreignant l’examen des uchronies sous leur forme originelle, essentiellement littéraire et livresque que l’on perd leur dimension démultipliée actuelle. Le lien ne se ferait donc pas tant avec la pratique historienne du contrefactuel qu’avec la pratique du contrefactuel dans le raisonnement du quotidien des gens ordinaires. Et les historiens ne sont pas qu’historiens, ils sont aussi des gens ordinaires, curieux de leur environnement qu’ils questionnent ensuite éventuellement en historien pour en faire le cas échéant des objets d’histoire. L’exemple de Niall Ferguson est assez flagrant : il a commencé à s’intéresser au raisonnement contrefactuel dans les jeux vidéo en regardant ses enfants jouer car il comprend très tôt dans la communauté des historiens que l’interaction entre le joueur et l’intelligence artificielle permet un raisonnement, un accès singulier, parfois indirect, à des connaissances historiques (6). Aujourd’hui, la majorité des historiens actuels qui ont moins de quarante ans ont été aussi (ou sont peut-être encore) des gamers friands d’uchronies délassantes ou stimulantes pour l'esprit. Dans ce chapitre consacré aux uchronies dans les œuvres de fiction, il y a bien quelques références à l’univers cinématographique et télévisuel, mais elles ne sont pas explorées en profondeur alors qu’elles constituent sans doute avec le jeu vidéo le plus grand réservoir et l’accès privilégié aux uchronies d’aujourd’hui. D’autant que ces productions uchroniques sont non seulement très nombreuses, très sophistiquées, en terme de moyens de production, mais aussi qu’elles se déclinent sur les différents supports qui se répondent les uns aux autres en terme de diffusion. Prenons l’exemple du sous-genre du steampunk exploré dans le livre (page 69): il s’agit autant d’une esthétique (d’où l’importance de l’image) que d’une écriture en partie uchronique qui cultive l’anachronisme et relève aussi du fantastique ou de la fantasy telle que la définit par exemple un autre historien, Jean-Clément Martin, dans sa leçon d’histoire sur le jeu vidéo Assassin’s Creed Unity (7). Le plaisir ressenti à lire, mais surtout à regarder ou bien à jouer à ces productions provient de la malice des effets de décalages et de mélange qu’ils autorisent où les repères temporels classiques deviennent inopérants. Transposé aux jeux vidéo, le genre a connu un grand épanouissement avec au moins un chef d’œuvre autant graphique que scénaristique, Bioshock Infinite (2013, 2K Games). Les développeurs français d’Arkane Studios ont eux aussi réalisé Dishonored (2012, Bethesda) dont la réussite proprement esthétique avait été largement saluée, confortant un peu plus cet aspect visuel propre à l’uchronie contemporaine. Une autre illustration de cette question des supports visuels de l’uchronie provient du succès actuel des séries télévisuelles par rapport aux œuvres cinématographiques. Là aussi la seule série évoquée dans ce chapitre de l’uchronie est Code Quantum (1989-1993). Or la multiplication et les conditions de diffusion/réception des séries télévisuelles ont radicalement changé depuis le début des années 1990 avec les accès internet des plateformes de streaming qu’elles soient légales ou plus encore illégales. Même le format épisodique est en pleine transformation pour s’adapter au goût du public. A côté des séries à saison classique, sont réapparues les séries d’anthologie si populaires dans les Etats-Unis des années 1950-1960 ainsi qu’une nouvelle génération de mini-séries adaptées aux nouveaux formats de la télévision et du replay. La production uchronique y est prolifique car elle correspond sans doute à un genre dont les stratégies marketing connaissent l’engouement du public. Ainsi Le Maître du Haut Château, décidément incontournable, fait l’objet d’une série produite par Ridley Scott qui est diffusée en streaming sur le service VOD d’Amazon depuis novembre 2015 (8). Le pilote a été celui qui a été le plus regardé sur ce service vidéo qui fait partie des nouveaux acteurs en pleine montée de puissance de la diffusion culturelle de masse depuis une dizaine d’année avec une accélération profonde encore plus récente. Hulu, qui est aussi une plateforme de vidéo à la demande avec service de VOD née en 2007 et qui produit des séries exclusives depuis 2011, dispose de sa mini-série uchronique dont la diffusion est en cours : 11/22/63 (9), adaptation d’un roman de Stephen King du même nom, diffusé de février à avril 2016 qui nous replonge dans une tentative d’empêcher l’assassinat du président Kennedy, le héros empruntant un portail temporel qui le ramène en 1960. Canal Plus en France a très rapidement acheté la série pour diffusion sur sa chaîne très prochainement. Si l’on en revient à Code Quantum cité par les auteurs, un phénomène particulièrement intéressant et inédit vient de se produire en avril 2016 dans ces deux industries culturelles dominantes, les séries télévisuelles diffusées en streaming et les jeux vidéo dématérialisés, qui supplantent désormais en audience les espaces de référence habituels des historiens : le cinéma et l’édition littéraire. Il s’agit de Quantum Break(10), un jeu vidéo défini comme crossmedia, c’est-à-dire qu’il imbrique des moments de jeu et des moments télévisuels dépendant en partie des choix du gameplay et qu’il propose d’assurer une continuité entre les personnages virtuels des motion captures réalisées sur les acteurs pendant les phases de jeu et les personnages réels incarnés par les acteurs. A lire les premières critiques, que ce soit dans la presse généraliste (11) - Le Monde, Les Inrocks, par exemple - ou les sites internet spécialisés, il n’est pas sûr que ce jeu hybride soit une réussite car il bute comme souvent dans les jeux vidéo sur la faiblesse du scénario qui n’est pas forcément l’ élément le plus indispensable dans la réalisation d’un bon jeu si l’on prend l’histoire du jeu vidéo depuis Pong, l’illustre ancêtre. Mais il constitue une approche expérimentale (tout en ayant des moyens massifs de blockbuster en s’appuyant sur Microsoft) pour de nombreuses raisons qui sortent de notre propos : la demande de plus en plus pressante de narrations sophistiquées qui rapprocheraient l’univers des jeux vidéo de la dramaturgie des séries télé, des formes d’interaction de plus en plus poussées ou inédites. Dans les deux cas, Quantum Break semble échouer vu l’importance du shooting répétitif dans le gameplay et la pauvreté des choix narratifs. Une approche audacieuse aussi car elle prend le risque de mécontenter tout autant les gamers avides de gameplay que les amateurs de séries gourmands de rebondissements. Il s’agit donc d’un essai prometteur et il n’est pas indifférent que l’argument de cette production relève en partie d’une machine à remonter le temps, ressort classique depuis Wells quand bien même il ne relève pas véritablement de l’uchronie. Plus généralement, à travers ces exemples, il s’agissait d’envisager les productions des jeux vidéo et les séries télévisuelles non pas comme une perte de temps dans un divertissement, mais comme une réflexion sur le temps – historique ou non - dans le divertissement de masse. Et la créativité multidimensionnelle de l’industrie du jeu vidéo en ce domaine est proprement troublante. Le temps est interrogé sous toutes ses formes avec ses distorsions, ses ruptures ou ses discontinuités, ses retours dans le passé et ses projections dans le futur (12). Des temps arrêtés où le temps ne s’écoule que lorsque le joueur se déplace (13). Des temps qui peuvent être aussi fragmentés et reconstitués comme des pièces de puzzle à emboîter et à investiguer à la manière d’un historien face à des archives sur un mode indiciaire (14). Des temps recommencés par la répétition de l’action où il est possible ou même nécessaire pour progresser de rejouer le jeu indéfiniment dans le cas des die and retry (15). Cette répétition, quand elle s’applique à des jeux vidéo historiques, pose de redoutables questions sur le continuum historique puisque le temps devient réversible (16), sur les rapports de causalité, sur les notions de fin et de cheminement ou même, dans un registre métaphysique et sacré, sur la mort. Les historiens ne peuvent pas ne pas s’intéresser aux jeux vidéo actuels puisqu’ils travaillent cette matière du temps. Mais ils n’ont peut-être pas à eux seuls les outils conceptuels pour les appréhender. Il est nécessaire de convoquer les spécialistes des sciences du jeu, absents dans les références de l’ouvrage. En effet il n’y a pas que les changements drastiques des conditions de production et de réception de l’industrie du divertissement depuis l’ère de l’internet qui entrent en ligne de compte comme j’ai essayé de le montrer plutôt que d’y voir comme les auteurs une valeur refuge aux inquiétudes du temps présent. Essayer de résoudre cette question de l’engouement pour les uchronies, histoires parallèles, histoires contrefactuelles nous renvoie peut-être à une autre conjonction. L’histoire, la science historique n’échappent pas à des formes de ludification/ludicisation de nos sociétés repérées justement à partir des années 1980 (17) qui s’amplifient et se transforment sous nos yeux. Les jeux vidéo commerciaux en sont la partie la plus spectaculaire et la plus visible. Il convient donc de les examiner maintenant.
  3. La publication du livre de Quentin Deluermoz et de Pierre Singaravélou Pour une histoire des possibles marque un jalon supplémentaire posé par les historiens de la génération actuelle dans le renouvellement de la manière d’envisager l’écriture de l’histoire et les conditions de sa réception par un auditoire et un lectorat qui dépasse sans doute les frontières de l’histoire savante et de l’histoire enseignée (1). Le livre s’intéresse aussi à la question de l’imaginaire dans la science historique, à la question de la vérité et de la fiction en histoire, à la question de ces trous de l’histoire que l’historien peut interroger ou non et à quelles conditions en comblant les lacunes des sources et en posant des hypothèses de travail qui sont sans doute plus que des jeux de l’esprit récréatifs ou de la rêverie. Parler de renouvellement n’est pas forcément adéquat puisqu’une bonne partie du livre consiste à faire justement une enquête sur la généalogie de formes d’écritures de l’histoire qui ont traversé l’historiographie depuis l’antiquité et qui faisaient la part belle au raisonnement contrefactuel dans sa portée heuristique. Il y a à la fois une réhabilitation d’une forme de raisonnement historique qui est encore largement ressentie comme hétérodoxe ou même vulgaire, au sens premier du terme, du moins dans le champ historiographique et académique français (2). Mais il y a aussi peut-être un lien renoué, même s’il n’est curieusement pas très présent dans le livre - sauf dans sa conclusion - avec ce que des penseurs de l’histoire comme Michel de Certeau ou Michel Foucault ont pu écrire en leur temps, le premier sur l’écriture de l’histoire inscrite dans la pratique du quotidien et dans la figure de l’estrangement ou la conscience de l’altérité face à une réalité du passé ; l’autre sur l’expérience vécue de l’instant de l’événement par les acteurs de l’événement quand le présent du passé offre plusieurs futurs possibles. On pense aussi à Arlette Farge non seulement dans son compagnonnage intellectuel avec Michel Foucault mais aussi avec son beau livre sur le goût de l’archive (3) où la question de la distance est questionnée avec délicatesse, sans manichéisme, à travers ce que l’inventeur d’archives peut s’autoriser ou non à imaginer, ou du moins à conjecturer devant des émotions venues du passé que des textes et sous-textes et intertextes et silences laissent transparaître puis qui remplissent à leur tour le lecteur de ces fragments du passé d’émotions bien présentes. Des émotions qu’il doit maîtriser par la conscience de la distance pour conserver une ligne éthique qui semble intangible pour Arlette Farge : la fidélité de la restitution historienne de la voix des sans-voix de l’histoire. Un article des deux auteurs dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine (4) qui a précédé ce livre où ils faisaient un premier point d’étape sur la question avait par exemple suscité quelques remous et fait grincer quelques dents, marquant l’incrédulité ou un certain scepticisme à propos de cette réhabilitation, prise en compte ou mise en discussion de la démarche contrefactuelle, de la part de fiction dans l’écriture de l’histoire. Au terme de l’enquête, quelques formules concrétisent les intentions équilibrées des deux historiens qui ne cherchent pas à brutaliser les formes classiques et éprouvées de l'écriture de l’histoire mais à évaluer « la zone de pertinence du contrefactuel », « éprouver les frontières du métier » (pages 349). Il y a cette conscience qu’il convient de bouger ces frontières pour « éviter leur ossification » et « garder vivante la pratique de l’histoire ». C’est dans cette démarche d’ouverture prudente qu’il convient de saluer la publication du livre qui fonctionne comme une bouffée d’air frais. Dans cette discussion - plutôt qu'une recension classique - qui cherche surtout à développer et approfondir certains aspects de la question, il ne sera envisagé qu’une partie de l’ouvrage, celle qui concerne la présence des contrefactuels dans la culture populaire et plus particulièrement dans l’industrie du divertissement, les jeux vidéo, les séries télévisuelles et la littérature contemporaine de l’uchronie mais plus encore dans ce que les gamers, les spectateurs et les lecteurs en font à leur tour. Il sera aussi l’occasion de poser quelques réflexions sur les rapports ambigus entre l’apprentissage de l’histoire et les contrefactuels. Enfin nous reviendrons sur Foucault à l’occasion justement d’un jeu vidéo consacré au Vendredi Noir qui vient de sortir en avril 2016 (5) et qui fonctionnera comme une étude de cas pour proposer une tentative de méthode d’analyse historienne d’un jeu vidéo centré sur un événement historique. 2 : Des uchronies dans l'air du temps ? 3 : Une histoire en plomb: le wargame de la Belle Epoque. 4 : Une histoire en carton : le wargame de la Guerre Froide et de la contre-culture américaine. 5 : De Duchamp à Debord : le jeu, le contrefactuel et les avant-gardes littéraires et artistiques au XXème siècle. 6 : Une histoire en pixels : les contrefactuels dans le game design et le gameplay des jeux de grande stratégie. 7: Une histoire en pixels : les contrefactuels produits par les gamers eux-mêmes. 8: Une histoire en pixels : une étude de cas historienne et foucaldienne d'un jeu vidéo. Le Vendredi Noir de la révolution iranienne et l'émergence des "vérité games" 9: Une histoire enseignée à renouveler ? A propos de l'usage raisonné mais ambigu des contrefactuels en classes secondaires à l'aide des jeux vidéo. 10: Une histoire sérieuse et exigeante par le détour des contrefactuels ? A propos de l'usage raisonnable des contrefactuels à l'université et à destination d'un public adulte plus large. Notes: (1) Quentin Deluermoz, Pierre Singaravélou, Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus, Seuil, L’Univers historique, 448 pages, février 2016. Parmi les signes de cette nouvelle mise en discussion de la fiction dans l’écriture de l’histoire, il convient de signaler le livre essentiel d’Ivan Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Seuil, La Librairie du XXIème siècle, 352 pages, septembre 2014 mais aussi le renouvellement de l’intérêt sur les usages publics de l’histoire qui s’est manifesté par exemple récemment par l’ouverture d’un master professionnalisant d’histoire publique à l’Université de Paris Est Créteil Val de Marne pour 2015/2016 sous la direction de Catherine Brice, le colloque qui s’est tenu au Mucem à Marseille L’histoire dans l’espace public. Producteurs, pratiques, transmissions entre Atlantique et Méditerranée en octobre 2015. De la même façon, le livre de Jean-Clément Martin et Laurent Turcot Au cœur de la Révolution. Les leçons d’histoire d’un jeu vidéo, Vendémiaire éditions, collection Chroniques, 144 pages, avril 2015 signe la prise en compte des productions vidéoludiques encore largement négligées par les historiens. (2) C’est ce que constatent les auteurs par exemple dans les pages 50-58 consacrées à la « présence contrariée » des analyses et des pratiques contrefactuelles en France à l’intérieur du champ académique. (3) Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Seuil, La Librairie du XXIème siècle, 160 pages, septembre 1989. (4) Deluermoz Quentin, Singaravélou Pierre, « Explorer le champ des possibles. Approches contrefactuelles et futurs non advenus en histoire. », Revue d’histoire moderne et contemporaine 3/2012 (n° 59-3), p. 70-95. Cet article faisait suite à deux séminaires sur la question qui s’étaient déroulés le premier en 2009/2010 à l’EHESS, le second au Collège de France en 2010/201. (5) 1979 Revolution Black Friday, iNK Stories, New York, avril 2016.
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