La démarche contrefactuelle en histoire: comment est-elle prise en compte dans la recherche historique en France ?
L'intérêt pour la démarche contrefactuelle en histoire et sa prise en compte d'un point de vue épistémologique ou cognitif est extrêmement récente puisque la "what if history" aura mis une vingtaine d'années pour passer les frontières du monde académique des pays anglo-saxons à la recherche en France.
Elle s'est réalisée selon deux modalités qui éclairent la difficulté avec laquelle les chercheurs en histoire la prennent en compte en France:
- Les seules instances académiques à avoir fourni un effort de réflexion en ce domaine se situent dans des espaces de recherche hétérodoxes, dans le sens où ils accordent une large place à l'interdisciplinarité et à une certaine liberté d'investigation: le Collège de France et l'EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales). Ces efforts ont pris la forme de séminaires de recherche.
En 2009/2010, Quentin Deluermoz, maître de conférences à Paris XII et Pierre Sangaravélou, maître de conférences à Paris I ont organisé un premier séminaire à l'EHESS: "What if... Apports limites et enjeux de la démarche contrefactuelle en histoire" qui enregistre le succès de la what if history dans les pays anglo-saxons et en propose une analyse. La dernière partie du séminaire avait un aspect expérimental et pratique de mise en oeuvre de la démarche autour des « futurs possibles de 1848 ». Il est aussi mentionné que "la dernière séance, enfin, a discuté des usages récréatifs et pédagogiques en dehors du monde universitaire" et l'on peut se demander si le lien s'est fait avec les game studies et l'étude des jeux vidéos de simulation historique.
En 2010/2011, un autre séminaire coordonné par les deux mêmes chercheurs et par Jean-Mathias Fleury, spécialiste de la philosophie de Leibniz s'est déroulé au Collège de France sous un libellé quasi similaire "Usages et enjeux du raisonnement contrefactuel en histoire et dans les sciences sociales" qui constate lui aussi dans sa présentation que "la réception de l’histoire contrefactuelle est restée relativement marginale" en France.
Enfin en 2012, la question de la démarche contrefactuelle en histoire faisait l'objet d'une livraison de la revue Labyrinthe, sous le titre « Et si… ? » La cause du contrefactuel, Labyrinthe, 39 | 2012, dans un dossier dirigé par Sacha Bourgeois-Gironde, professeur en sciences économiques à Paris II. Là non plus nous ne trouvons pas de références explicites de l'usage de la contrefactualité dans la culture populaire via les jeux vidéos de simulation historique, les articles proposés restant circonscrits au champ de l'écriture de l'histoire par les historiens.
- La seconde modalité est aussi très significative. Elle est provenue de la parution d'un livre de vulgarisation de Fabrice d'Almeida, professeur à l'université Paris II, écrit en collaboration avec Anthony Rowley, qui était maître de conférences à l'IEP de Paris: Et si on refaisait l’histoire ?, Éd. Odile Jacob, 2009. L'une des sources d'inspiration de l'ouvrage est le best-seller de Niall Ferguson, historien anglais très controversé pour sa ligne idéologique, mais dont le travail constitue un point d'inflexion important dans l'usage de la démarche contrefactuelle actuelle opérée par certains historiens et pour lequel je consacrerai une note de lecture: Niall Ferguson, (coll.) Virtual History: Alternatives and Counterfactuals. New York, Basic Books, 1999. Ferguson et d'Almeida ont bien des points communs: dans les deux cas, on se retrouve avec des historiens de la même génération (ils sont quadragénaires) qui partagent le même désir de médiatiser leur travail et de l'ouvrir à un très large public. D'Almeida est l'un des rares historiens de profession à faire des incursions répétées dans le monde de la télévision à travers une série d'émissions grand public (notamment C'est notre histoire sur France 5) et de la même façon Ferguson a proposé une série documentaire Civilization: is the West History ? sur Channel 4, à partir de l'un de ses derniers livres particulièrement problématique, et dont le titre ne manquera pas de faire sourire les gamers en faisant écho à la saga de Sid Meier: Niall Ferguson, Civilization: The West and the Rest. The Penguin Press HC, 2011.
On peut donc poser ce point: les historiens qui se penchent de près sur la démarche contrefactuelle sont très sensibles à leur médiatisation et à la culture populaire...
0 Commentaire
Commentaires recommandés
Il n’y a aucun commentaire à afficher.