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Niall Ferguson: un étrange hybride - Lorsqu'un historien rencontre le jeu vidéo...

ElDesdichado

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Pourquoi se cantonner à être un obscur universitaire qui se contenterait de rester dans sa tour d'ivoire à écrire des livres que personne ne lira ? L'histoire est aussi un bizness, après tout.

Niall Ferguson, New Yorker, 12 avril 1999.

L'histoire de nos jours n'est pas affaire de conviction. C'est une performance. C'est du divertissement.

Irwin, dans la pièce de théâtre The History Boys d'Allan Bennett (2004)

La formule étrange hybride dans le titre de ce billet doit beaucoup à Sylvie Laurent qui fut sans doute, de par son champ de recherche et sa connaissance de l'historiographie anglo-américaine, l'une des rares à avoir dessiné très tôt dans le champ intellectuel français un portrait de la figure particulièrement contrastée (et contestée) de Niall Ferguson, l'un des historiens les plus connus et les plus controversés du monde académique et médiatique anglo-saxon. Pourtant, si l'on demandait à un enseignant-chercheur français en histoire de citer quels sont les historiens anglais ou américains actuels dont il a un un peu examiné le travail ou dont il connaît la notoriété, il y a une très faible chance qu'il ait déjà entendu parler de Niall Ferguson.

Pour ma part, j'avais rencontré son nom au début des années 2000 dans des bibliographies, notamment pour son essai d'histoire contrefactuelle dont il sera question plus loin, à une époque où je m'intéressais déjà aux game studies mais plus dans une optique pédagogique très pragmatique d'intégration d'activités ludiques dans ma classe que sur un plan épistémologique. Et j'avoue que je n'avais pas alors encore fait l'effort de lire son essai. Un peu plus tard, le hasard avait voulu que je rencontre le philosophe Toni Negri par l'intermédiaire de certains de mes amis de la revue Multitudes, autour de Yann Moulier-Boutang et des personnes qui réfléchissaient les mutations du capitalisme contemporain et l'avènement du capitalisme cognitif: les bureaux de la revue jouxtaient alors le local du syndicat pour lequel je militais. Toni Negri est l'auteur d'Empire, une lecture qui m'avait beaucoup impressionné. Je découvrais que Niall Ferguson avait écrit une espèce de contre-Empire deux ans plus tard, où il délivrait sa vision neo-conservatrice de l'histoire, une étape importante de son parcours ultra-nationaliste et pro-impérial qui justifiait par exemple ce qu'on a appelé en France les apports positifs du colonialisme, des "apports positifs" qui faisaient et font encore de bruyantes polémiques en France. Mais curieusement, il n'y eut jamais de comparaison sérieuse avec les débats outre-Manche et outre-Atlantique, tant les intellectuels français, et particulièrement les historiens sont franco-centrés.

Cette méconnaissance est le plus souvent imputable à la focalisation des historiens français sur leur propre roman national, qui fait l'objet d'intenses et d'âpres débats, dont il est si difficile de se départir en proposant un aggiornamento, pour reprendre la formule de mes correspondants de ce collectif d'historiens qui essaie de dépoussiérer un peu la façon dont on enseigne l'histoire. Ces partisans de l'aggiornamento auraient d'ailleurs tout intérêt à s'intéresser de près à la figure de Niall Ferguson tant il représente à peu près tout ce qu'ils cherchent à combattre en terme de vision de l'histoire. Le groupe aggiornamento n'échappe pas à ce tropisme du débat franco-français: l'attention portée à la façon réactionnaire dont l'histoire est véhiculée à la télévision via Lorànt Deutsch ou Stéphane Bern est une chose respectable (il faut lire à ce sujet le récent livre Les historiens de garde ) mais elle s'attaque finalement à une vision dérisoire et naïve du passé. La démarche d'un Niall Ferguson à la télévision anglaise qui, lui, est un historien patenté et reconnu aussi bien à Harvard que dans la société du spectacle britannique est beaucoup plus dangereuse et difficile à contrer car elle a réussi parfaitement une forme d'hybridation entre culture savante et culture populaire. Niall Ferguson a réussi là où les historiens français ont échoué ou plutôt démissionné: il a décloisonné le savoir savant et l'a porté aux masses par sa présence sur l'écran où il impose directement une vision historienne de l'histoire, non pas d'une façon passéiste et gentiment amatrice comme les médiateurs Deutsch ou Bern, mais d'une manière radicalement professionnelle et nouvelle, très agressive, en étant justement particulièrement attentif à l'évolution des vecteurs et supports actuels de connaissance. J'appartiens à une génération dont l'appréhension et la découverte de l'histoire ont été en grande partie redevables à un documentaire télévisé de Georges Duby, à une émission d'Apostrophes où l'on entendait Jacques Le Goff et Pierre Nora nous expliquer ce qu'était la Nouvelle Histoire de l'époque, à une prise de parole de Michel Foucault dans la rue pour défendre les marginaux et les dépossédés, ce qui aide à se forger une conscience historique et politique quand on est un adolescent. Où sont aujourd'hui les historiens français en dehors de leur jargon jargonisant autoréférencé qui tourne en boucle et ne s'adressent qu'à eux-mêmes ? Niall Ferguson a très vite compris que l'enjeu de la réception et de la fabrique de l'histoire n'allait pas seulement passer dans l'avenir par les canaux de l'histoire scolaire et universitaire, qu'elle soit débarrassée ou non du roman national (un roman national qu'il est d'ailleurs en train de réécrire dans son propre pays par la réévaluation systématique de l'Empire britannique), mais qu'elle prospérait dans des espaces qu'il a eu le mérite de ne pas regarder en se bouchant le nez, notamment les jeux vidéo. Il est tout de même assez frappant de constater que partout dans le monde ce sont les intellectuels de droite qui ont appris le mieux à prendre en compte la culture populaire, et pas forcément de façon populiste, bien au contraire.

Et si Niall Ferguson, en sortant un tant soit peu du débat idéologique dans lequel il essaie de nous enfermer, dessinait en creux le portrait de ce que deviendra l'Histoire au XXIème siècle, un étrange hybride ?

Il est temps de présenter le personnage. Nous disposons pour cela d'un outil très commode et de première main, dont il serait presque impossible de trouver l'équivalent pour tout autre historien au monde : son blog où, comme à la télévision, il adore se mettre en scène (c'est le moment sans doute d'expliquer que mon propre billet est aussi dans son introduction une espèce de pastiche au second degré de quelques figures rhétoriques de son discours de publiciste: la provocation, le recours à l'anecdote personnelle). On se prend même à rêver des progrès que pourrait faire l'épistémologie de l'histoire pour comprendre comment on écrit l'Histoire si l'on disposait de blogs aussi sophistiqués tenus par de nombreux historiens.

J'ai choisi un long texte de juillet 2007, à l'exact moment où il a atteint une grande notoriété par le succès de ses livres et de ses documentaires télévisés, et où il commence à regarder de près les jeux vidéo. Ce texte, magnifiquement écrit, s'appelle Villain of the Piece que l'on pourrait traduire littéralement par le méchant de l'histoire et de façon plus décalée le vilain petit canard. Le méchant de l'histoire, c'est évidemment lui-même puisqu'il est le protagoniste du récit qu'il nous délivre, un récit qui fonctionne selon un procédé de mise en abyme.

Tout part effectivement d'une pièce de théâtre d'Alan Bennett. Il n'est pas indifférent de remarquer qu'Alan Bennett, acteur puis homme de théâtre très populaire en Grande-Bretagne fut lui-même un chercheur en histoire médiévale avant de se consacrer à la comédie, à l'écriture et à la mise en scène. Alan Bennett, de par ses origines populaires et sa culture historique est un travailliste à l'ancienne, un travailliste d'avant le blairisme, considéré un peu comme un trésor national du théâtre et du cinéma anglais. Il obtient un triomphe auprès de la critique et du public en 2004 avec The History Boys. Le propos de la pièce est de montrer comment trois enseignants préparent un petit groupe d'étudiants en histoire à passer les examens d'entrée à Oxford et à Cambridge. Cette comédie très politique est une parabole qui oppose deux visions antagonistes de l'Histoire et de l'enseignement, dans une sorte de querelle des Anciens et des Modernes incarnée par deux personnages, Hector qui représente la conception traditionnelle, attachée à la Vérité, au Respect du Savoir et à la Transmission, et Irwin qui représente la conception actuelle, critiquée par Bennett, beaucoup plus cynique, roublarde et désinvolte, à la limite de la sophistique, pour qui la fin justifie les moyens. Irwin est thatchérien, en somme. Il va sans dire que le personnage fictif d'Irwin a été directement inspiré chez Bennett par la personne réelle de ... Niall Ferguson et que la préférence de Bennett va à Hector dont le modèle d'inspiration dans la vie réelle était Frank McEachran, un grand maître humaniste, qui a formé notamment l'esprit du poète W. H. Auden. C'est ainsi qu'un historien actuel devient un personnage de la fiction théâtrale dans une pièce à succès.

Le texte Villain of the piece, s'ouvre sur des répliques d'Irwin tirées de The History Boys qui semblent tout droit sortir du premier ouvrage important de Ferguson, presque repris mot pour mot. Un livre que Bennett, avait dû lire quelques années auparavant avec beaucoup d'attention, en ex-historien averti: The Pity of War: Explaining World War I, Allen Lane/Penguin Press, 1998. Ce livre est le premier grand succès éditorial de Ferguson. La thèse du livre consiste à incomber la responsabilité de la Première Guerre Mondiale à l'Angleterre, qui en s'alignant sur l'Entente franco-russe et en se jetant dans la guerre à leur côté, au lieu d'adopter une position de neutralité qui aurait entraîné une victoire de l'Allemagne, mais aux répercussions limitées, a provoqué le siècle de guerres du court XXème siècle de 1914 à 1989, précipité le déclin de l'Empire britannique dont la suprématie financière d'avant 1914 compensait largement la supériorité industrielle de l'Allemagne et des Etats-Unis, et assuré l'hégémonie des Etats-Unis en terme de puissance dans un monde bipolaire. Ce livre est aussi la première fois où Ferguson utilise massivement la démarche contrefactuelle en spéculant sur ce qui ne s'est pas passé, la source du raisonnement consistant à se demander ce qu'il serait advenu si le Royaume-Uni n'avait pas participé au conflit. C'est sans doute ce point de vue contrefactuel qui avait le plus frappé Bennett quand il a décidé de faire de Ferguson un personnage de fiction sous les traits d'Irwin.

Puis, dans le prolongement de la mise en abyme, Ferguson explique comment à l'occasion de la sortie de la pièce à Broadway un an plus tard, s'opéra un retournement à 180 degrés: pour le public américain, Hector, le vieil humaniste qui révère le Savoir pour le Savoir, l'Art pour l'Art, l'Histoire comme Vérité, la Poésie comme Action, est complètement ringard, le héros positif c'est Irwin-Ferguson ! Ceci est particulièrement mis en valeur dans un article de Slate, paru en 2006, et intitulé Lutte des classes. Pourquoi le méchant dans The History Boys est le meilleur enseignant. Un article que Ferguson ne pouvait pas ne pas avoir en tête et dont il a peut-être repris le terme de villain.

Dans une troisième partie de son récit, Ferguson légitime son succès par une mesure d'audience, égrenant les statistiques de ses 25 ans de carrière: 2000 étudiants formés, 900 000 exemplaires de ses livres vendus à travers le monde, une quantité innombrable d'articles parus dans une cinquantaine de journaux et revues différents, plusieurs millions de téléspectateurs pour ses documentaires sur Channel 4, avec un pic d'audience de 2,3 millions pour l'adaptation télévisuelle de son Empire. Il se livre aussi à une véritable étude de marché des livres d'histoire en se demandant comment rajeunir la clientèle et ramener les jeunes générations vers l'histoire.

Pour ce faire, il propose aux historiens quatre leviers qu'il baptise "irwiniens", endossant et assumant avec autodérision le costume du personnage qu'a brossé de lui Bennett à travers son personnage de fiction dans The History Boys. Quatre leviers qui ressemblent fort à un programme méthodique et dont j'analyse rapidement les deux derniers qui nous intéressent directement

1. Le recours à la controverse

2. L'explication du contemporain par le retour à l'histoire

3. L'usage de l'approche contrefactuelle qu'il explicite ainsi:

C'est important pour deux raisons. D'abord ce qui ne s'est pas passé est souvent aussi intéressant pour les étudiants que ce qui s'est passé (...) Ensuite, ils ont toute légitimité de se poser la question "Et si..." car ce qui ne s'est pas passé mais aurait pu se passer était alors aussi réel pour les contemporains que ce qui s'est en fait passé. Philip Roth en fait le point central de son roman "Le complot contre l'Amérique", quand il imagine un univers parallèle dans lequel un fasciste devient président des Etats-Unis en 1940.

Ferguson décrit ici, en faisant explicitement référence à la narration fictionnelle de l'uchronie, le statut - précaire, mais légitime - de hors-temps du contrefactuel en histoire, défini comme un futur du passé, un possible non avéré, qui brouille la distinction classique d'Aristote entre historia et poiesis, une distinction/malédiction qui a condamné la narration historique à faire exclusivement le récit de ce qui a eu lieu. Comme l'écrit Bérenger Boulay dans "L'histoire au risque du hors-temps. Braudel et la Méditerranée", Le temps de l'histoire contrefactuelle est un temps retrouvé, une reconstitution de l'horizon d'attente des hommes du passé pour retrouver ce qui était alors possible ou probable. Le livre de Ferguson Virtual History. Alternatives and Counterfactuels est consacré exclusivement à cette question. Mais elle provient d'une autre tradition historiographique qui a peu de rapport avec la tradition philosophique: Ferguson s'est en fait inspiré des travaux et des modèles heuristiques proposés par la cliométrie, une branche de la nouvelle histoire économique. Nous ferons dans un prochain billet l'analyse de sa longue introduction de Virtual History..

4. l'informatisation du passé. C'est sur ce dernier point que nous rencontrons enfin le jeu vidéo chez Ferguson, ce qui mérite une traduction intégrale:

Enfin, et c'est peut-être ce qui est le plus inacceptable pour la génération d'Alan Bennett, nous devons informatiser le passé. L'histoire est aujourd'hui proprement un grand jeu. Les ventes annuelles de wargames - dont la part la plus notable prend pour contexte la Seconde Guerre Mondiale - sont évalués à 940 millions de dollars, soit 13 % des ventes annuelles de jeux vidéo. La plupart d'entre eux, il faut le concéder, sont des FPS plutôt grossiers, mais il y a aussi des jeux de stratégie tels qu'Hearts of Iron et, plus récemment, Making History édité par Muzzy Lane. Ces jeux offrent un éclairage précieux autant qu'un divertissement, principalement parce qu'ils rappellent aux joueurs que le cours des événements historiques se présentent plus comme un jeu que comme les récits linéaires et prévisibles proposés par les historiens traditionnels

Pour les lecteurs de la plupart des ouvrages d'histoire, il n'y a jamais l'ombre d'un doute sur le dénouement de la seconde guerre mondiale. Mais ce n'est pas ce que ressentaient les contemporains. Certes, même le plus brillant de ces jeux ne peut vous offrir plus qu'une simplification des futurs possibles qui s'ouvraient au monde en 1941. Néanmoins, à l'instar des modèles utilisés par les économistes, les jeux de stratégie sont un outil magnifique pour réfléchir les systèmes de causalité complexe.

Après être devenu un conseiller pour Muzzy Lane, j'ai pu tester quelques unes de mes propres hypothèses contrefactuelles sur la seconde guerre mondiale, explorant les voies par lesquelles (par exemple) une stratégie différente des forces de l'Axe aurait pu de façon plausible gagner la guerre. Que se serait-il passé si Hitler avait attaqué l'URSS avant de lancer son offensive sur le front ouest ? Que se serait-il passé si les Japonais avait attaqué l'Union Soviétique plutôt que les Etats-Unis ? C'est le genre de questions auxquelles'un jeu sérieux tel que Making History - qui est basé sur des données historiques très précises et une superbe intelligence artificielle - peut apporter de vrais éclairages.

"L'histoire est aujourd'hui un grand jeu...": pour nous parler des wargames, Ferguson reprend ici en la déformant une des conclusions de Huizinga dans Homo Ludens (1938) quand celui-ci a défriché les rapports entre la guerre et le jeu. Mais il ne la déforme pas simplement en l'élargissant au champ historique dans son entier, il la déforme conceptuellement dans la mesure où Huizinga à l'intérieur du chapitre consacré à la relation guerre/jeu, réservait cette conclusion à l'élément agonal de la guerre pendant l'Antiquité et le Moyen-Âge et écartait explicitement la guerre moderne de son analyse. Il n'empêche que pour Huizinga c'est l'Homo Ludens et non l'Homo Sapiens qui fait la guerre. Roger Caillois adoptera un peu plus tard une position plus nuancée et une autre grille de lecture qu'Huizinga dans Bellone ou la pente de la guerre (1963) qui a été réédité récemment. C'est que Caillois, au sortir de la guerre totale, réfléchit sur la guerre moderne.

Il semblait presque inévitable que Ferguson rencontrât le jeu vidéo de simulation historique tant ses objectifs conjoints de vendre de l'histoire et de promouvoir la démarche contrefactuelle correspondent à la structure même de conception de ces jeux. Inutile de rappeler que l'industrie du jeu vidéo est effectivement depuis 15 ans la première industrie culturelle au monde avec par exemple une croissance de 50 % de son chiffre d'affaires entre 2011 et 2012, en pleine période de crise économique, grâce au boom des plateformes mobiles et de l'offre dématérialisée.

Surtout, Ferguson a un regard aigu et pertinent sur la structure du marché, il sait en distinguer les segments, rejetant la pertinence des jeux de tir à la première personne (FPS) qui dominent le marché de façon écrasante, et validant les jeux de grande stratégie qui autorisent une démarche d'investigation historique. Il connait le jeu vidéo de simulation historique le plus abouti (Hearts of Iron, Paradox, 2003, 2005, 2009 dans ses différentes versions). Mieux encore, il fait une entrée entièrement inédite pour un historien dans le jeu vidéo en devenant le conseiller historique d'une entreprise américaine de jeux vidéo, Muzzy Lane, avec la licence Making History (2007 et 2010), dont le titre est particulièrement évocateur de la conception d'un jeu vidéo qui fabrique de l'histoire. De la même façon que de grands historiens ont pu se transformer en conseiller historique pour le cinéma (Jacques Le Goff pour Le Nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud en 1986, Natalie Zemon-Davis pour Le retour de Martin Guerre de Daniel Vigne en 1982), Niall Ferguson est le premier historien académique et reconnu à jouer ce rôle dans l'industrie du jeu vidéo. Et ce n'est pas en 2007 une activité anecdotique pour lui. Il revient à plusieurs reprises dans d'autres articles sur cette collaboration qu'il estime fructueuse et enrichissante (dans tous les sens du terme ?). Deux autres textes permettent de comprendre et d'analyser le sens que donne Ferguson à son immixtion dans l'industrie du jeu vidéo.

Le premier est un papier qu'il donne pour le New York Magazine en octobre 2008: How to Win a War. C'est sans doute là qu'il explicite avec le plus de détails son expérience vidéoludique personnelle et sa collaboration dans la conception de Making History - The Calm and the Storm. Son regard sur le jeu vidéo est aussi bien professionnel que familial: c'est en partie dans le lien avec ses deux fils dont il observe la pratique que se fait la connexion entre l'histoire et le jeu vidéo. Il en tire un certain nombre de considérations sur le champ de l'enseignement de l'histoire:

"Personne chez Muzzy Lane évidemment ne prétend que leur jeu reproduit exactement le monde de 1938 ou 1939. Néanmoins, les passés parallèles que le jeu convoque ont une valeur intellectuelle indéniable (...) Je peux aussi facilement imaginer la plus-value que pourrait ajouter Le Calme & La Tempête à un cours d'histoire du secondaire consacré à la Seconde Guerre Mondiale. De la même façon, j'ai du mal à ronger mon frein avant de mettre en place à Harvard un séminaire basé sur le jeu, ayant entendu un groupe de mes étudiants du dernier semestre se lancer dans une conversation spontanée et animée autour des mérites du jeu Axies & Allies (...). Je ne doute pas que (mes fils) ont plus appris en jouant à un jeu tel que celui-ci plutôt que d'une activité tirée d'un manuel scolaire. Jouer à l'histoire n'est pas une vulgaire tentative de rendre le sujet plus attractif pour les gamins. C'est bien plutôt une tentative de revivifier l'histoire en utilisant les outils technologiques que les gamins expérimentent. Et pourquoi pas ? Après tout, la génération Game Boy grandit. Et, comme ils atteignent une compréhension plus profonde du monde dans lequel ils vivent, ils peuvent ne pas avoir à se tourner en premier lieu vers les étages des bibliothèques."

L'analyse ludologique de la licence Making History fera l'objet d'un billet spécifique. Mais d'ores et déjà, il convient de tempérer l'enthousiasme de Ferguson pour ce titre qu'il a promu pourtant lourdement: ce titre n'a jamais eu le succès de son modèle Hearts of Iron, beaucoup plus sophistiqué dans son gamedesign. Cependant un nouveau titre est en préparation, sur le sujet même de son fameux livre dont nous avons déjà parlé: la Grande Guerre, un domaine beaucoup moins balisé que la Seconde Guerre Mondiale dans l'industrie du jeu vidéo.

Cependant les vertus éducatives et spéculatives du jeu vidéo historique sont une vraie préoccupation pour Ferguson. Le second texte nous amène en effet dans les couloirs de la fabrication des programmes d'histoire scolaire en Grande-Bretagne. Michael Gove, le ministre de l'éducation a en effet sollicité Niall Ferguson pour revisiter les programmes scolaires en 2010. The Guardian titre "Niall Ferguson aims to shake up history curriculum with TV and war games" (Niall Ferguson a l'ambition de secouer le programme d'histoire avec la télévision et les jeux de guerre), le 9 juillet 2010. La ligne idéologique est clairement conservatrice dans la célébration des nations et de l'orgueil impérial de l'Occident:

"Dans son entretien au Guardian, Ferguson déclare qu'il espère que les école britanniques expliqueront comment les nations de l'Europe occidentale sont devenues les puissances qui ont dominé le monde pendant des siècles. Mais il veut le faire d'une manière stimulante et sans encourager des notions racistes qui accréditeraient que l'Occident est simplement le meilleur."

La télévision, les jeux de simulation, autant d'outils que Ferguson préconise pour "aider les étudiants à comprendre les décisions qui ont façonné le monde". Des décisions qui dans la conception de l'histoire de Ferguson, relèvent plus individuellement des grands hommes que des sociétés elles-mêmes, même si à côté de cet aspect quelque peu repoussoir, il accorde une importance considérable à la contingence, qui est par contre un apport sérieux de son travail. Refaire l'histoire dans une démarche contrefactuelle consiste pour Ferguson à diriger une nation. On peut espérer qu'il y ait d'autre modèles et d'autres thématiques dans l'usage de l'approche contrefactuelle de l'histoire. Notamment en nous tournant un peu vers la fille de Niall Ferguson, qui s'intéresse relativement peu aux jeux de guerre, reconnait-il.

L'article cite quelques timides objections de la part du monde universitaire : Anthony Beevor, professeur à Birkbeck, un spécialiste d'histoire militaire de la Seconde Guerre Mondiale se demande si la démarche contrefactuelle n'est pas prématurée avant d'avoir acquis de solides notions de base. Colin Jones, qui enseigne l'histoire de France à Queen Mary et qui est le président de la Royal Historical Society fondée en 1868 pointe le risque de voir s'introduire la conception huntingtonienne de choc des civilisations dans ce type de programme scolaire.

Mais qu'importe, la boucle est bouclée pour notre historien hybride dont l'emprise intellectuelle est totale: figure incontournable du monde académique dont il connait parfaitement les codes et les rouages même s'il en rejette le caractère compassé, figure indispensable sur le marché de l'édition avec des ouvrages qui se vendent comme des petits pains, figure familière du monde de la télévision par les documentaires où il se met en scène, figure de l'avenir de 'Histoire par son implication dans l'élaboration des programmes scolaires, figure de l'innovation par l'introduction du jeu vidéo et de la démarche contrefactuelle en histoire.



4 Commentaires


Commentaires recommandés

Oui j'ai encore quelques coquilles et liens défaillants, que j'essaie de repérer. Au fait j'ai un blème avec le chargement d'images. Je ne reçois que des retours erreurs... C'est normal ? Pourtant Hypérion réussit super bien dans son AAR. J'ai dû manquer une partie du film :)

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Pour les images tu fais comment? tu copies et tu colle? si c'est le cas çà ne marche pas, il faut copier le lien de l'image et l'insérer via le bouton Insérer une image

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oui c'est ce que j'avais fait pour un billet précédent mais ça n'avait pas marché. même blème quand j'ai essayé le téléchargement d'une image stockée sur mon ordi. Je réessaierai plus tard.

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