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Le musée: un nouveau terrain de jeu ?

ElDesdichado

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Examiner comment se réalise le processus de ludification de l'Histoire dans les musées et les lieux patrimoniaux permet de questionner certaines tensions et contradictions actuelles sur les modes informels d'appropriation de l'Histoire par le grand public via des interfaces numériques à finalité ludique ou qui se revendiquent comme telles. Ce billet ne présente que quelques constatations préliminaires qui demanderont à être approfondies; puisque dans cette trilogie consacrée à la ludification de l'Histoire il ne s'agit que de proposer des pistes d'investigation et d'intéresser des chercheurs et des enseignants à cette dimension.

De façon amusante, on pourrait commencer par une digression: le musée dont l'existence aura été la plus éphémère dans certainement toute l'histoire mondiale des lieux muséaux est le Musée du jeu vidéo installé sur le toit de l'Arche de la Défense: ouvert le 14 avril 2010, il a fermé ses portes douze jours plus tard (ainsi que le Musée de l'informatique, créé en 2008, qui se trouvait dans le même lieu). Depuis il n'a toujours pas trouvé de site pour l'héberger à nouveau, symbole flagrant du désintérêt pour le jeu vidéo qui est encore considéré comme une sous-culture et une contre-culture. Or, vu l'obsolescence et l'évolution très rapide des technologies et des machines, il y a pourtant là un enjeu de patrimoine culturel en péril qu'accentuent encore plus les phénomènes de dématérialisation du jeu numérique, Pourtant, une des tendances actuelles fortes de l'industrie du jeu vidéo est le retro-gaming et la revisite de l'histoire du jeu vidéo par les développeurs de jeux mais aussi par des artistes qui, dans cette redécouverte du passé et des origines du jeu vidéo, travaillent sur l'esthétique du jeu vidéo à l'ancienne, notamment la pixellisation, ou sur des mécanismes de jeu oubliés. L'exemple le plus éloquent en ce domaine est le prodigieux succès de Minecraft (Mojang, 2011 - 20 millions d'exemplaires vendus) dont il faudra reparler puisqu'il est lui-même un des outils de création/re-création/récréation de l'Histoire les plus massivement utilisés et que certains joueurs s'approprient pour réaliser des reconstitutions architecturales historiques virtuelles.

Alors que le jeu vidéo n'a décidément pas sa place dans la muséification des faits culturels, dans le même temps, le jeu a fait une entrée spectaculaire dans les musées et dans les lieux touristiques à forte valeur patrimoniale. On constate aussi, même si ce n'est pas nouveau, le fait que le jeu est un sujet d'exposition, comme l'a montré récemment le Musée de Cluny avec "Art du Jeu, Jeu dans l'Art. De Babylone à l'Occident médiéval" (28 novembre 2012 - 4 mars 2013).

L'introduction du jeu numérique dans les musées s'expliquent par deux phénomènes conjoints : le développement des écrans nomades et tactiles (smartphones, tablettes) et l'invasion du discours sur les jeux sérieux dans une dimension qui oscille toujours comme d'habitude entre le marketing pur d'une part (qui est certainement la raison d'être des serious games) et l'edutainment, d'autre part, avec le sempiternel "apprendre en jouant" pour justifier la portée éducative de jeux qui sont rarement des jeux et qui ne sont guère éducatifs non plus...

La cible de ces jeux concerne essentiellement le jeune public et la question des conditions de sa fréquentation du musée, que ce soit en sortie familiale ou bien en sortie scolaire. Elle prend soit la forme d'une application numérique utilisée in situ pendant la visite en utilisant les technologies de réalité augmentée et de géolocalisation, soit la forme d'une application numérique utilisable en amont ou en aval de la visite.

Prenons trois exemples pour éclairer le sujet:

- Le premier concerne la défunte Maison de France mort née. Tout le monde se rappelle comment le projet Maison de France, annoncé dès 2007 et démarré en 2010, voulu par le président Sarkozy pour tenter d'inscrire sa marque culturelle comme l'avaient fait ses prédécesseurs avant lui de Pompidou à Chirac, avait soulevé un tollé général de la part d'un grand nombre d'historiens vu sa conception particulièrement rétrograde d'une Histoire profondément marquée par l'idéologie de l'identité nationale et célébrant les grands hommes sous une forme mythifiée. La réalisation du projet fut définitivement enterrée quelques semaines après l'élection de François Hollande, respectant l'une de ses promesses de campagne contenue dans son programme pour la Culture, ce fut même un acte de rupture symbolique assez fort d'avec la politique de son prédécesseur. Comme dans toutes les politiques marketing des musées aujourd'hui, la Maison de France avait mis en place un projet de développement ludo-éducatif numérique, confié à l'entreprise multimedia "Quelle Histoire" chargée de développer des applications spécifiques sur les grands personnages de l'histoire de France. Ces jeux sont toujours disponibles à la vente sur l'App Store.

Si l'on prend le titre Vercingétorix pour comprendre la structure de ces applications, on s'aperçoit qu'elles sont divisées en trois parties;

1. une partie "Histoire" comportant dix scènes séquentielles (la seule interactivité consistant à appuyer sur une flèche pour faire défiler les panneaux), qui fournit une narration audio classique agrémentée d'illustrations très enfantines et très faiblement animées. Cette narration fonctionne comme un conte où l'on nous raconte l'histoire du personnage selon un mode a-historique qui reprend l'image d'Epinal habituelle. Le texte commence ainsi: "Dans l'actuelle Auvergne, alors habitée par le peuple des Arvernes, vit un jeune garçon. Il est le fils de Celtillos, un riche commerçant que l'ambition de devenir roi a fait condamner au bûcher. Ce jeune homme porte un nom à gagner des batailles et à rêver de conquête. Il s'appelle ,Vercingétorix, ce qui signifie "le roi suprême de ceux qui marchent à l'ennemi". Tremblez !". A aucun moment n'apparaît dans l'économie du texte, ne serait-ce que par l'usage du conditionnel ou d'un adverbe "peut-être" une possible nuance ou distance vis-à-vis des informations données par les sources déjà très lacunaires et assez obscures des vainqueurs romains, puis déformées par l'imagerie commune véhiculée au cours des siècles. On ne s'attardera pas sur les trois éléments fantaisistes de cette description de l'enfance de Vercingétorix en trois lignes.

2. une partie "Portraits" qui fonctionne un peu sur le mode de ce que l'on doit retenir. Nous sont présentées les figures du barde, du druide, du guerrier gaulois, du centurion, du cavalier romain, du légionnaire, de Vercingétorix et de Jules César. Là non plus, l'enfant ne pourra disposer d'éléments guère pertinents pour comprendre un peu qui étaient les Gaulois, d'autant qu'il n'y a rien dans l'interface qui nous présente les apports de l'archéologie via un objet réel de la civilisation matérielle puisque l'interface graphique est exclusivement illustrative et n'offre aucun va et vient entre la représentation des Gaulois dans ces dessins et la réalité des artefacts d'un musée archéologique.

3. une partie "Jeux" composée de quatre éléments et qui reprennent les grosses ficelles des casual games, des jeux triviaux, sans aucun rapport avec le contenu du produit hormis l'habillage gaulois. On trouve un jeu des 7 erreurs; un jeu de cartes qui consiste à toucher l'image correspondant à l'information demandée, dans un set de 2 à 5 cartes; une variante de "Mais où est Charlie ?" injouable puisque qu'il s'agit de trouver pas moins de 20 personnages minuscules dans une image qui en comporte plusieurs dizaines, et ceci en 150 secondes, la seule stratégie possible consistant à appuyer partout au hasard sur l'image sans même la regarder et l'observer; et enfin pour compléter cette panoplie ludique, l'inévitable quizz qui est chargé de vérifier que la belle histoire de Vercingétorix qui nous a été racontée a bien été mémorisée.

Une fois encore, le jeu est détourné de ses fonctions intrinsèques de distraction comme fin en soi et de sa nature réflexive ou spéculative pour au contraire provoquer chez l'enfant des gestes et des réponses d'automates. Le jeu sérieux évacuant la notion de jeu pour simplement incorporer des mécanismes de jeu (ici le temps limité, le gain de points) sans importer une dimension réelle de jeu. C'est là où réside la ruse des serious games: nous faire croire qu'ils sont des jeux quand ils n'utilisent que des éléments de jeu, nous faire croire qu'ils sont sérieux et éducatifs quand ils ne sont que des outils de communication téléguidés pour une intention cognitive - connaître Vercingétorix - qui n'est même pas correctement assurée, et ceci par une stratégie de détournement du jeu - le jeu étant supposé être attractif et faciliter l'apprentissage - qui dénature les propriétés du jeu, même s'il est toujours aussi difficile, de Huizinga à Henriot, de définir ce qu'est un jeu et le fait de jouer, tant les réalités mouvantes et polymorphes du jeu sont rebelles à l'analyse.

- Le deuxième exemple nous transporte au Musée des Arts et Métiers où s'est déroulé le projet de recherche industrielle PLUG (PLay Ubiquitous Game… and play more) en 2008 et 2009, dont il est aussi important de lire l'annexe technique très détailllée. La première étape du projet : PLUG Les Secrets du Musée est très bien renseignée par ses concepteurs et ses évaluateurs à travers plusieurs articles de la Lettre de l'OCIM, la revue de l'Office de Coopération et d'Information Muséales, parus en septembre-octobre 2009 (n° 125), puis en janvier-février 2013 (n° 145) pour rendre compte de la seconde étape du projet PLUG qui s'intitule PLUG Université Paris Nuit.

Nous pouvons donc en comprendre les étapes de la conception, du game design et de la réalisation, jusqu'à la première mise en oeuvre qui elle-même provoque des rééquilibrages en fonction du comportement des visiteurs-joueurs qui sont observés et dont la réaction est évaluée.

Ici nous changeons complètement de dimension par rapport à l'exemple précédent: nous ne sommes pas dans du marketing muséal ludo-éducatif mais dans de la recherche expérimentale qui dispose de moyens (400 000 Euros) et de temps (27 mois) pour asseoir une forme de jeu, alors inédite en France, dans un musée: le jeu dit pervasif ou ubiquitaire dont on trouve une présentation claire sur le site de ce game designer. Le jeu pervasif correspond bien à la figure classique du jeu tel qu'on se le représente dans les espaces du patrimoine et des musées: la chasse au trésor, la course à l'énigme, le jeu de pistes (qui se complète ici par une variante du jeu des 7 familles). Cette fois le jeu s'adresse à tous les visiteurs, jeune public comme adulte.

Ce qui est particulièrement intéressant dans la lecture des compte-rendus d'expérimentation, c'est de constater la difficile conciliation entre l'ambition ludique souvent exprimée (insistance sur l'aspect de l'autonomie et du libre-arbitre pour le joueur-visiteur, degré de réflexion et soin apporté à la réalisation conceptuelle du jeu) et le corset prescripteur pédagogique.

Le premier article présente le jeu du point de vue des concepteurs de PLUG Les secrets du musée avec pour sous titre Recherche d’une médiation entre virtualité et réalité

Ainsi lit-on d'un côté pour exprimer le travail pédagogique, essentiel dans la scénarisation du jeu :

Dans ce projet, le rôle du musée des Arts et Métiers est multiple. Il participe à la définition de l’architecture de ce jeu et à ses règles. Cependant, le musée doit aussi veiller à ce que ce jeu ne soit pas qu’un simple jeu dans l’enceinte de l’établissement, mais surtout un véhicule pédagogique, un « serious game ».

et

La mise en place des familles résulte d’un long travail de pédagogie et de scénarisation. Le musée se caractérise par sa très riche collection d’objets. Ces derniers ont été mis en avant tout au long de la mise en place du scénario. Il a fallu choisir seize objets parmi près de trois mille exposés : le processus de sélection a donc été minutieux et longuement discuté.

Mais visiblement, au-delà du respect du cahier des charges de faire un serious game, la dimension proprement ludique semble avoir pris le dessus:

On lit donc aussi dans le même article (en se demandant toutefois si un ressort ludique - c'est-à-dire un mécanisme de jeu - suffit à faire un jeu, comme on l'a vu dans le premier exemple sur le jeu dans Vercingétorix)

Il fallait cependant garder à l’esprit que "PLUG : les secrets du musée" est avant tout un jeu. Donner un aspect ludique au projet était donc incontournable pour légitimer l’appellation jeu. Le ressort ludique choisi en conséquence, maintes fois utilisé et dont l’efficience n’est plus à prouver, a donc été le suivant : réunir un maximum de points dans un temps limité.

Il apparaissait aussi important de donner aux joueurs la possibilité de développer différentes stratégies de jeu afin que chacun y trouve son compte : petits, adultes, stratégique, à risque, fonceur, prudent... Une liberté totale était accordée au joueur : jeu d’alliance, jeu solitaire, voire triche, aucun comportement ne lui était imposé.

ou bien

Il fallait également que le joueur puisse découvrir l’ensemble du musée de façon totalement autonome.(..) Le jeu avait pour objectif de montrer d’autres objets, (que ceux présentés dans les offres de visites guidées générales ou thématiques) d’une façon transversale, ne reprenant pas forcément la chronologie de l’exposition permanente.

mais un peu plus loin l'aspect ludique devient trivial (casual) et le terme de ludique semble signifier simpliste:

Des textes accessibles via le téléphone sont donc proposés aux équipes : ce sont les zooms dans lesquels l’objet se raconte lui-même. Les quiz sont également une autre manière d’aborder les objets. Deux des trois réponses proposées pour chaque question du quiz sont ludiques : en plus d’aider les joueurs à trouver la bonne réponse avec un minimum de réflexion, l’aspect ludique a l’avantage de démystifier l’objet en détournant tout le poids de connaissance qui lui est associé.

Enfin, au moment des essais puis du bilan, il semble que pour les concepteurs, le jeu était trop "jeu" et pas assez "sérieux"

Les principales difficultés rencontrées ont été les bugs techniques et le comportement des joueurs enclins à courir dans le musée de borne en borne.

et

Ce bilan globalement positif ne doit cependant pas faire oublier que les joueurs ont eu l’impression d’être trop focalisés sur le jeu. L’aspect contenu et pédagogie se laisse dépasser par l’aspect jeu et compétition : le choix de l’objet s’est effectué pour des raisons stratégiques de jeu et non pas sur des choix liés au sens des objets, à leur histoire ou leur technologie. Cela est dû à l’architecture du jeu dans laquelle le décompte de temps pousse les joueurs à se presser pour gagner un maximum de points afin d’être les meilleurs, au détriment de la connaissance des objets : une modification visant à donner plus d’importance à la découverte du musée et de sa collection est donc à envisager.

Le second article présente PLUG Les Secrets du Musée du point de vue des usagers sous le titre "Visiteur ou joueur ?" : pour les visiteurs-joueurs aussi, la dynamique et mécanique de jeu est trop forte par rapport à l'appropriation de connaissance. Les raisons ne proviennent pas du jeu lui-même mais bien des mécanismes triviaux des règles du jeu, les mécanismes des casual games les moins biens adaptés (temps limité, questions triviales au quizz) à un espace muséal:

Peut-on concilier un temps limité et structuré par les nécessités du jeu (gagner des points) et un temps moins contraint qu’on s’accorde pour visiter le musée ? Autrement dit, n’est-on pas en train d’introduire des temporalités incompatibles ?

et

Le jeu bouleverse ainsi les représentations du rôle et de la responsabilité énonciative du musée, en tant qu’institution de savoir. Le défi pour le musée est de trouver son rôle dans cette nouvelle définition du rapport aux objets et au lieu. Le risque est évidemment que le dispositif de jeu et le dispositif de musée soient complètement indépendants l’un de l’autre.

puis

les concepteurs ont attribué plus de points aux quiz et ont retravaillé certaines questions afin de répondre aux souhaits des joueurs de valoriser davantage la stratégie d’acquisition de savoirs.

Ce dernier point rejoint ce que nous avions constaté chez les moddeurs des jeux vidéos qui cherchent à complexifier les mécanismes de jeu. Ainsi la représentation a priori des concepteurs qu'un aspect ludique est un aspect simplifié voire simpliste de la réalité vole en éclat, à la demande même des joueurs... Le véritable ressort d'un jeu, et le plaisir qu'on en retire c'est sa complexité que l'on apprend à maîtriser, son aspect énigmatique ou imprévisible auquel on apprend à s'adapter, la démarche indiciaire qui se loge dans l'examen de l'objet lui-même que l'on apprend à observer, plus que dans des ressorts que les concepteurs ont cru "ludiques" mais qui ne sont en l'espèce que des éléments de jeu, pas du jeu en soi: le chronomètre qui tourne, les questions trop simples, les points à gagner. Par contre, complexité, énigme, indice, toute scénarisation d'un jeu dans un musée pourrait être centré sur ces éléments, et la matière est grande. Une démarche indiciaire qui nous rapproche du travail de l'historien quand il examine les traces du passé et qu'il conjecture, comme le suggérait Carlo Ginzburg dans Mythes, Emblèmes, Traces.

- Enfin le troisième exemple nous mène à un lieu patrimonial, l'abbaye de Fontevraud, pour une chasse aux BoZons avec l'usage des tablettes et de la réalité augmentée. C'est un retour vers l'enfance aussi puisque cette application numérique s'adresse au jeune public, selon la modalité suivante, avec un classique jeu de piste:

jeu de piste sur ipad

Visitez l’abbaye de Fontevraud de façon pédagogique et ludique avec vos enfants (de 9 à 14 ans).L’abbaye de Fontevraud offre à son jeune public une nouvelle façon de la découvrir à partir de la rentrée grâce à une application sur Ipad. Les familles, les écoles et les centres de loisirs pourront partir à la recherche de petites créatures, «les boZons», cachées un peu partout. Cette quête est l’occasion de découvrir l’histoire des personnes qui ont vécu à Fontevraud en suivant au choix la journée d'une religieuse ou d'un prisonnier. Il existe deux versions selon le niveau scolaire : pour les CM et pour les collégiens. Les enfants devront retrouver 9 lieux correspondant aux moments clés de la journée: le repas, le sommeil, le travail, etc.

Sur place, l'enfant prend une photo que l’Ipad reconnaît. Le joueur a alors accès à une information historique et à un mini-jeu. à la fin de la partie, l’Ipad récapitule les énigmes résolues et retrace le déroulé de la journée.

Le site internet de l'abbaye de Fontevraud propose deux vidéos et des captures d'écran de l'application pour ceux qui voudraient regarder à quoi ressemble le dispositif mis en place en septembre 2012.

Mais la chose la plus surprenante est survenue en février 2013, lorsque David Martin, Directeur Général Délégué de la Société Publique Régionale Abbaye de Fontevraud a présenté cette application dans le cadre des 4èmes Rencontres Nationales Culture et Innovation(s) consacrées au thème « Mobilité, communauté et virtualité : les musées et lieux de patrimoine face aux nouveaux enjeux du numérique », manifestation qui se tenait à la Cité des Sciences et de l'Industrie.

Si l'on suit la synthèse que propose Elodie Jarrier, (doctorante en Sciences de Gestion) de l' intervention de David Martin, on se rend compte que ce serious game récuse la notion de serious. Voici les passages intéressants (je souligne en gras):

"Le jeu répond à la fois à des motivations extrinsèques (éduquer son regard, vivre un moment de convivialité et de partage en famille, rentrer dans la peau d’un personnage) et intrinsèques (le jeu peut également être une fin en soi, servir de « teasing » (...) c’est-à dire permettre une découverte capable de susciter l’envie de revenir effectuer une visite plus classique par la suite. Les discours des familles interrogées sont révélateurs de ces motivations et d’une large palette de bénéfices retirés de cette visite ludo-éducative (un regard nouveau à la fois analytique et holiste porté sur le bâtiment, son architecture et son histoire, des moments de rire, des enfants valorisés dans leur rôle de prescripteurs et des parents satisfaits de se laisser mener par leur progéniture). (...)

David Martin semble privilégier l’expression « non serious game ».(...) En jouant sur l’ajout de la négation devant le terme « serious game », David Martin répond en quelque sorte au souhait (...) de voir s’étendre le sens du mot « apprentissage » en contexte muséal. Il s’agit d’opérer un renversement de la posture classique de l’apprenant (calquée non plus sur le modèle de l’Ecole mais plutôt sur la vie quotidienne où l’enfant occupe plus fréquemment une posture de prescripteur) et de dépasser la volonté de donner à connaître des faits ou concepts pour inscrire véritablement le musée comme une ressource, comme un compagnon d’un apprentissage non linéaire tout au long de notre vie. Les apprentissages que l’on retire d’une visite muséale ou patrimoniale doivent non seulement développer nos capacités de raisonnement durant l’expérience de visite mais aussi dans toutes les sphères de la vie quotidienne, faisant de ces lieux des « mental gymnasiums ». La «leçon» que l’on retire de la visite de ces lieux englobe bien plus que le cognitif. Elle intègre également une part introspective, ludique, corporelle, émotionnelle, sociale (on apprend parfois autant sur nos proches en visitant un musée que sur l’objet culturel). Ni les commentaires des parents ni ceux des enfants ayant visité l’Abbaye de Fontevraud n’évoquent de fatigue muséale, les parents semblant globalement satisfaits de cette inversion des rôles plus reposante pour eux. Ceci ne signifie pas que toute visite de type « chasse au trésor » génère des discours aussi positifs. Certains parents, fatigués des allers-retours qu’ils sont invités à effectuer par le scénario de visite proposé, peuvent parfois communiquer sous la forme de double contrainte : inciter l’enfant à expérimenter par lui-même, tout en le félicitant pour parfois accélérer le rythme afin de le rendre plus conforme à leurs habitudes.

Ainsi, à travers ces trois exemples, on comprend que les formes de ludification de l'Histoire dans les musées et lieux de patrimoine nous posent question par les chemins divergents que prend l'usage du jeu: nous avons successivement examiné un produit ludo-éducatif qui n'est qu'un casual game obéissant à la loi de Sturgeon « ninety percent of everything is crap »; un jeu pervasif dont les ambitions fortes en terme de game design sont contrariées par la contrainte d'entrer, avec le label devenu quasi-obligé du jeu sérieux, dans les critères d'acceptabilité socio-culturelle aussi bien de l'institution muséale que des visiteurs ; un serious game muséal qui se revendique comme non serious et qui signe un retour assumé à l'enfance où l'on joue d'abord pour jouer et où il semble bien que l'on fasse intentionnellement semblant d'apprendre mais dans un terrain de jeu nouveau: le musée dont on peut penser que l'enfant aura appris plein de choses, mais qui n'étaient pas prévues au préalable par les concepteurs du jeu ou qui appartiennent à des registres qui ne sont pas évaluables : un regard décentré, .un coin de mémoire, une émotion esthétique, un rire aux éclats... mais qui sont indispensables pour apprendre par soi-même. C'est peut-être le pari du directeur du Musée de l'abbaye de Fontevraud que de faire confiance au jeu en lui-même pour semer les graines de l'appétence et de la curiosité pour la connaissance, avec le moins d'intentionnalité et de directivité possibles..

Conclusion provisoire: l'intention éducative trop évidente et le cadrage trop strict tuent le jeu. Personne ne joue sous la contrainte. Le jeu commence dès l'apparition du désir de jouer et la prise de décision volontaire de jouer. Si un jeu quel qu'il soit est bien conçu, et qu'il respecte les propriétés qui caractérisent les jeux telles que Huizinga avait commencé à les définir et qui ont été ensuite complétées ou affinées par les théoriciens du jeu, ce jeu, donc, nous apprendra quelque chose per se mais sans qu'on sache trop quoi. Le jeu demande cette incertitude dans son issue cognitive, incertitude qu'il convient d'accepter.



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